Géographie de la co-présence,
sémiologie,
modalités de mise en scène.

La méthodologie de rapprochement de données
mise en œuvre dans Attlas repose sur quatre énoncés :
En jouant des propriétés dynamiques de la mise en scène cartographique des données, on place le groupe de participants à un atelier en situation de construire ensemble une lecture des agencements significatifs entre phénomènes ou facteurs représentés par les données.  

La démarche proposée est délibérément inductive et constructiviste.

Cette démarche repose sur la stabilité de la carte comme lieu commun de sens.

La carte comme tableau (hyper tableau)

Le tableau comme lieu d'une activité de classification du réel
En réalité, la carte est un objet de la même espèce qu’un tableau. On se réfère ici aux travaux de l’anthropologue Jack Goudy , qui a montré que le tableau apparaît dans l’histoire de l’écriture à la suite des listes descriptives, comme une première entreprise de classification systématique du réel. Après avoir pratiqué des classements par listes en regroupant les noms d’objets par catégories, le tableau est apparu comme schème de classification supérieur en mettant en scène des relations entre des catégories. Ce faisant, les premiers praticiens de l’écriture découvraient un processus de représentation du réel, par conséquent détaché du réel lui-même, qui allait marquer durablement nos manières de penser.

Une illustration du type de détachement du réel attaché à la forme tableau est donnée par le fait que dans cette pratique de classification, qui peut être cohérente en elle-même, il peut arriver que les croisements logiquement opérables dans le tableau ne correspondent à aucune occurrence observable dans la réalité.

Par exemple, si l’on a en colonne les classes d'objets contenants et en ligne des classes d’objets contenus telles qu’elles se donnent à voir dans la nature alentours, la relation vache-incluse-dans-pré trouve une occurrence observable mais sa réciproque non; si l’on trouve bien des oiseaux-dans-les-arbres , en revanche il est peu probable d’observer même une seule fois  un éléphant-dans-un-arbre .   

La cohérence d’un tableau et son intelligibilité réside dans le schème qui détermine la nature des relations qu’il met en scène. Mais cette logique d’abstraction présente un caractère transcendantal qui peut être en contradiction avec une raison pratique ;  et, pour en faire un usage concret, il convient d’éprouver le schème dans le champ concret de l’expérience.

Pour expliciter cette conception du schème et la distinction schème concept, on peut emprunter à Deleuze dans son cours sur Kant du 4/04/1978 cette définition : « Le schème de l'araignée c'est sa toile, et sa toile c'est la manière dont elle occupe l'espace et le temps. », ce que,
pour paraphraser, l’auteur, le concept d’araignée ne suffit pas à décrire. 

La vertu de la carte comme tableau
La vertu de la carte comme tableau est qu’elle fourni d’emblée un schème commun, mais celui-ci n’est pas explicite et le travail de rapprochement de données a précisément pour objet de conduire le groupe de participants à élaborer une appréhension collective de ce schème.  

De ce point de vue, les savoirs mobilisables par les participants au groupe sont en principe égaux devant l’exercice. Il ne s’agit pas en effet de proposer des explications, ni de dégager des lois de causalité (ou des corrélations) , mais de dégager des significations partagées des relations de co-présence de phénomènes décrits par le rapprochement de données, en s’attachant précisément à comprendre les conditions, les circonstances et les implications de la relation de co-présence.

L’effort d’analyse est porté sur l’effectivité de la représentation du réel par « l’hyper tableau » qu’est la carte, L’effectivité de la représentation du réel est ici accessible par  l’analyse des relations : relation entre facteurs et territoires, relations entre facteurs sur la trame des territoires.  Le procédé d’appréhension mobilisé est alors celui de la contextualisation, en mobilisant pour cela différents types de savoirs : expérientiels, institutionnels, scientifiques… et en procédant par comparaison avec les territoires environnants.
La rigueur et sa fécondité heuristique de ce type d'approche comparatiste  tient au fait qu'elle ne nécessite pas l’établissement d’une norme de référence aux fondements souvent difficiles à étayer et rétive aux oprérations de falsification. Quant au plan de la pratique, en situation de travail collectif,  l'analyse comprative  présente l'avantage de la souplese et contribue au dépassement des blocages qui peuvent se manifester dans un groupe :  Ainsi par exemple,
si décrire le visage de quelqu’un est toujours une opération  complexe, en ravanche , dresser un portrait en s’aidant des ressemblances et différences avec d’autres visages est plus acc
essible . On peut s’accorder sur les grands traits du portrait et conserver des points de vue différents sur des éléments plus fins.

Un tel processus d’analyse nécessite de s’affranchir dans un premier temps des significations pré construites :représentations sociales attachées à des grandeurs symboliques (comme le taux de chômage par exemple) , représentations sociales attachées aux positions sociales et aux interactions afférentes dans le groupe…),
De même qu’il est nécessaire de réincarner, par des contenus sociaux,  les grandeurs abstraites représentées par les nombres,  pour tenter de comprendre comment les relations se distribuent sur la carte, c’est à dire pour accéder à la dimension sociale du schème et discuter l’effectivité de sa représentation du réel.

En réalité il s’agit là d’un processus de cognition complexe en ce sens qu’il s’opère dans un constant allé retour entre l’abstraction schématique et le plan de l’expérience. Tout l’enjeu social et pédagogique de la conception de la démarche a consisté à tenter des réduire les effets inhibiteurs de cette complexité sans perdre en contenu, ni en accessibilité, ni non plus en rigueur méthodologique.

Aspects sémiologiques
Outre la méthodologie et les procédés d’animation de tels groupes de travail, c’est avant tout dans le recours à une sémiologie adaptée que réside la possibilité de succès de ce type de processus.

On se réfère pour cela à Jacques Bertin, sociologue et géographe français, pour qui toute relation entre quantités est représentable par des formes graphiques explicites, et en particulier à son œuvre théorique (notamment son ouvrage la « Graphie ») qui formalise une théorie  de la représentation graphique des quantifiés statistiques et des relations entre facteurs, en particulier dans la cartographie statistique. (il a aussi largement travaillé sur d’autres systèmes de représentation plane comme l’analyse en réseau etc.)  . Dans la même lignée, on se réfère aussi à Cibois, lui aussi sociologue, et à son importante contributions théorique et pratique à l’analyse de données.
Tout deux, (Cibois est d’ailleurs un héritier fécond de Bertin) nous conduisent à :
Ainsi par exemple, en matière de colorisation des fonds de carte, on peut soit chercher des représentations hiérarchiques (palette de couleur du sombre au clair) qui tendent à opposer les extrêmes et à marquer les polarisations et les gradients, soit privilégier  des représentations plutôt associatives ( palettes de couleurs hétéroclites qui ont la propriété de présenter les classes sans ordre hiérarchique et par conséquent de privilégier les perceptions associatives des éléments d’une même classes …). De la même manière, pour les graphiques ponctuels projetés sur les cartes ( le cercles induisent une perception associative tandis que les barres ou les triangles induisent une perception discrète…)
Les techniques de qualifications de quantités couramment utilisées sont ici les quantiles dont l’interprétation est aisée et facilement transmissibles en atelier.
Si, par exemple, on observe sur une carte deux modalités de co-présence typiques dans la géographie :
- forts effectifs de salariés dans une branche professionnelle donnée et faible fréquence d’accidents du travail
- faibles effectifs salariés dans cette même branche et fréquence élevée d’accidents du travail,
Plutôt que de postuler un loi générale (ici on serait tenté de conclure que la fréquence d’accidents est inversement proportionnelle à la densité d’effectifs salariés dans les territoires), et de lui chercher une explication de type causale ou corrélative, on s’intéressera plutôt à repérer les situations atypiques et à les contextualiser - voir l’exemple en ligne sur la région bourgogne).
On privilégie ainsi l’étude des marges ( en particulier leur connexité géographique) pour caractériser les distributions par leur conditions de co-présence. (ce qui n’exclue pas l’hypothèse d’une loi générale qui devrait tenir compte des contextes. Ce qui ne prive pas non plus les acteurs d'un accès aux conditions de validité d’une telle loi puisque si elle se confirmait, elle se déclinerait dans des conditions situées qui sont elles mêmes déjà rendues accessibles par l’approche contextualisée des relations et des marges)
Médiane et quantiles
Pour soutenir cette logique d’analyse, et rester en cohérence avec elle, en particulier pour susciter un raisonnement sur les relations avant de revenir au grandeurs proprement dites ( valeurs et quantités représentés par les nombres), comme on l'a évoqué plus haut, ce sont des classifications automatiques par classes d’effectifs égaux qui ont été choisies ( en particulier la partition par la médiane et plus généralement par les quantiles)

Interractivité et dynamisme des formes graphiques
Les outils de mise en scène cartographique ont été développés pour maximiser ce type de raisonnement. En particulier, outre la sémiologie, ont été introduites des fonctionnalité interactives aussi souples que possibles pour « faire bouger la carte » ; permettant ainsi aux participants de voir comment les  phénomènes et leurs relations se déploient dans la géographie (variation des bornes des classes, passage d’une représentation hiérarchique à une représentation non hiérarchique, traçabilité des groupes de territoires marqués par une relation pour étudier la stabilité ou non de ces groupes au regard d’autres phénomènes, permutabilité rapide des données …). Notons que de telles fonctionalités dans un dispositifs en réseau n’auraient pas été possibles à mettre en œuvre de manière souple dans le contexte technologique d’il y a seulement deux années en arrière