Enjeux et méthodologies de la R&D Attlas
Interdépendance des choix technologiques et des  finalités du projet Attlas









Le cadre R&D du développement des outils.

Cette interface de publication est basée sur un noyau actif : l'interface GaïaMundi de cartographie dynamique initialement développée par Cité Publique et augmentée dans le cadre d'un chantier de R&D sociotechnique conduit par l'Anact. Ce chantier de R&D s'inscrit dans le programme ATEON (Age Travail Emploi Observatoire National) mis en œuvre par l'Anact avec le soutien du FSE.

Engagée au printemps 2006, ce chantier de R&D Attlas arrive, au printemps 2008, sur son volet technologique, au terme de sa phase de production d'un démonstrateur. Le passage à une phase dite d'industrialisation (de diffusion ou de déploiement) nécessite encore de finaliser le volet "socio"  de la R&D socio-technique et d’approfondir les modes de scénarisation des données.
Cette finalisation est en cours à travers des expérimentations en partenariat avec des branches professionnelles, des acteurs engagés dans des dynamiques territoriales, et à travers un cycle d'ateliers associant non seulement les acteurs des chantiers d'expérimentation, mais aussi des professionnels et des chercheurs ou encore des institutions partenaires de l'Anact.


Il s’agit ici de remonter aux fondements du projet Attlas dont les documents présentés sur ce site (cartes commandées par un texte) ne sont qu’un aspect particulier.
Les développements qui suivent reposent sur un postulat : on ne fait pas plus de politiques publiques qu'on engendre des dynamiques d'action impliquant des acteurs libres de leurs engagements  sans considérer que ces acteurs ont de bonnes raisons de faire ce qu’ils font et de penser ce qu’ils pensent ; que ce qu’ils font et ce qu’ils pensent sont liés et donc que déclencher des transformations de l’action passe par la production de connaissances et de pensées avec eux.

Seront abordés successivement :

Partons pour cela d'une rapide présentation de la démarche et des documents mis en ligne sur ce site.



Une configuration de travail en groupe ou sur un mode collaboratif à distance

Au delà de l’aspect démonstratif de la publication sur la plate-forme "Gestion des âges" de l’Anact, l’interface utilisée ici est avant tout dédiée à la publication, en réseau Intranet ou Internet selon le cas, des résultats partiels ou définitifs de processus de travail conduits en groupe ou selon des modes collaboratifs à distance (wiki).


En réalité, le procédé de travail en groupe, ou sur un mode collaboratif, est au cœur du projet Attlas de l'Anact. De tels processus de travail sont conduits, sous forme d'ateliers, dans trois types de configurations qui peuvent se conjuguer entre elles :
Une démarche d'assistance à la problématisation sur le champ de la relation âge travail emploi territoire

Les outils mobilisés dans ces situations de travail (interface d’élaboration de cartographie dynamique et hypertexte collaboratif) ne sont pas des outils de description du réel qui se suffisent à eux-mêmes, pas plus qu’ils ne sont des outils de programmation des dispositifs.
Ainsi les cartes n'ont-elles pas vocation à être diffusées en dehors de ces scènes de travail ou en dehors des textes qui les relient entre elles et leur donne un sens particulier.

En effet, au service des acteurs impliqués dans ces configurations de travail, le projet Attlas se veut avant tout une démarche d'appui à l'élaboration collective d'analyses des situations territoriales à partir d'une préoccupation donnée (en l'occurrence ici, la relation âge travail emploi territoire). Autrement dit, Attlas est avant tout une démarche d’assistance à la problématisation.

Il s’agit de soutenir l'émergence "d'un sens commun" qui facilitera la convergence de l'action des différents acteurs impliqués.

Au cours de ces processus de travail, la lecture partagée des cartes doit permettre aux participants :

Un package d'outils
Cette démarche est soutenue par le développement d’outils (cartographie dynamique, outil de façonnage de données, éditeurs et wiki collaboratif) rassemblés dans un package dont la présente interface n'est que l'outil de publication.


L'interface de publication : les Mode hypertexte.




Dans l'interface présentée sur ce site, le texte de gauche comporte des boutons qui permettent d’activer l’affichage de données sur un fond de carte. 
Cependant la carte n’est pas qu’une simple illustration. Elle peut être modifiée par l’internaute.
Les modifications peuvent :
Les documents présentés dans cette interface sont qualifiés d'hypertextes car ils comportent des fonctions actives différentes de textes classiques. Ces fonctions sont bien des liens, à l'instar des hypertextes que l'on trouve sur Internet et plus généralement en informatique, et qui renvoient à la notion d'hypertexte comme ensemble de connaissances reliées entre-elles par un ou des schèmes.  Mais les hypertextes présentés ici se distinguent des hypertextes courants sur deux aspects :


Scénarisation de données
La carte n'en est pas moins un objet à lire, à interpréter et à commenter. De ce point de vue, comme un texte, son interprétation appelle des savoirs exogènes au texte lui-même (on dit alors que le textes ou le graphique est « indexé » au sens du terme indexicalité étendu de la linguistique à des principes sociaux plus généraux par certaines écoles sociologiques comme l’éthnométhodologie), savoirs mobilisés par le « lecteur » (ici la connaissance du terrain, les représentations sociales sur les thèmes abordés, l’expérience...). Mais ces savoirs exogènes au contenu formel des textes et cartes, ne sont pas livrés aux seuls registres d'interprétation des "lecteurs" pas plus qu’ils ne sont la seule expression du seul point de vue d’un auteur. Ils sont articulés entre eux ou, tout au moins, liés entre eux par un schéma qui est précisément le scénario qui organise la partie proprement textuelle de l'hypertexte ;  de même qu’ils sont liés entre eux par les cadres communs de représentation que sont les cartes. On parle ainsi de mise en scène de données et de scenarii de rapprochement de données.

Cependant au delà de leur forme d'hypertexte publié sur un site, pour prendre la mesure de ces "mis
es en scène" et "scenarii" il faut les rapporter aux situations de travail en groupe ou en mode collaboratif dont ils sont issus ou auxquels ils sont dédiés. C'est à dire qu'ils doivent être rapportés aux opérations de rapprochement de point de vue, de changement de posture des participants, de négociation et de recherche d'accord ... qui s'opèrent dans l'activité de partage de savoirs. Dans cette mesure,  l'idée de scénario ou de mise en scène ne renvoie pas seulement  à un mode de présentation dédié à la publication mais renvoie bien aussi à une dramaturgie de l'action dans la pratique du partage de savoirs, dramaturgie au sens du courant sociologique de l’interactionnisme symbolique (Cf. en particulier Goffman), à certains égards connexes à certaines approches de l’éthnométhodologie et de l’éthologie.
Cette double dimension de la mise en scène et du scénario, dans l'hypertexte et dans l'activité de partage de savoirs en train de se faire, est  au coeur du processus de Recherche et Développement Attlas, et en particulier de la conception d'outils et de méthodologie qui visent à susciter cette activité de partage des savoirs, appliquée ici au champ de la relation âge travail emploi territoire.

Dans les développements qui suivent, après avoir dégagé les enjeux de l'intrication entre technologie et finalité du projet, on reviendra sur les aspects purement méthodologiques sur lesquels repose la pratique de partage des avoirs visée par la démarche Attlas.


Interdépendance des choix technologiques et des finalités du projet Attlas.

Options technologiques
L'interface GaïaMundi de cartographie dynamique est basée sur une technologie Web. Le parti pris de base est celui d'une technologique Client (c’est à dire où l’ordinateur de l’internaute est plus sollicité que le serveur distant), basée sur un standard libre, stabilisé et évolutif (le standard W3C). GaïaMundi est à l'origine diffusé en licence libre GNU GPL, ce qui rend le projet compatible tant avec les financements européens qui excluent toute propriété exclusive des réalisations, qu’avec un marché public de recherche et développement aux contraintes similaires ; et oblige à les verser au domaine public.

Outre l'intérêt d'être un outil multi plate-formes et portable (c'est-à-dire qu'il fonctionne sans serveur sur un ordinateur courant et donc facilement mobilisable dans différents contextes de travail), ce  parti pris d'une technologie client repose sur une évaluation stratégique des évolutions technologiques sur Internet, en particulier sur le plan des technologies au standard W3C libre qui présentent les meilleures  garanties de stabilité des versions au fil des évolutions, et qui sont en phase avec le parti pris de la technologie Client par les grands navigateurs conformes au W3C ( FireFox Mozilla, toute la génération Gecko et plus récemment Safari v3 pour Apple, et maintenant Windows - Cf. son Webkit open source).

Les langages utilisés dans le projet Attlas (noyau GaïaMundi) sont :
Positionnement du projet dans les évolutions technologiques en cours
A  l'origine du projet, il y  avait un risque d'isolement technologique du côté de la technologie d'affichage graphique. La seule technologie de graphisme vectoriel libre (nécessaire au dessin dynamique des cartes) et  conforme au standard W3C est en effet le SVG qui était en 2006 peu développé du fait de la concurrence du standard Flash  . Bien que d'usage libre pour l'internaute, Flash est néanmoins une technologie propriétaire, ce qui, comme on le voit aujourd'hui avec Apple, ne manque pas d'imposer des contraintes de licences lorsque les produits ont un succès industriel.

Aujourd'hui, non seulement certains sites institutionnels ont adopté la technologie SVG (Cf. EuroStat) pour être en phase avec l’esprit et la lettre des directives européennes relatives au développement technologique supporté par des acteurs publics, mais de plus, Apple MacIntosh est en passe d'adopter la norme SVG comme norme industrielle (sur Ipod et Iphone notamment). Il résulte de ces ajustements que les navigateurs vont maintenant optimiser le traitement du SVG. Ces évolutions vont aussi avoir pour effet que le monde des "développeurs libres" autant que le monde du "breveté" vont  développer des bibliothèques de fonctions graphiques de haute qualité qui n'existent pas encore aujourd'hui dans cette technologie, une inexistence qui rendait le développement dans cette technologie coûteux.

Déjà, après avoir intégré dans sa version 2 le SVG comme technologie par défaut (sans pluggin), dans sa version 3, l'interface de navigation Firefox de Mozilla, a clairement opté pour une stratégie de développement en technologie Client. L’interface graphique de ce navigateur devient  peu à peu un véritable système graphique secondaire, ces nouvelles capacités suscitant de nouveaux développements logiciels. La tendance est la même avec Safari et son Webkit même si les progrès en SVG sont moins sensibles sur la version 3.1 malgré de nets progrès.

Cette évolution de la version 3 de Firefox a ainsi permis de diviser par 4 le temps d'exécution des fonctions de calcul et d'affichage de GaïaMundi. Cette accélération devrait encore être plus spectaculaire avec FireFox 4 qui contiendra un compilateur javascript (de même pour Safari et son Webkit)
Ajouté à cela, le développement du SVG au niveau industriel devrait permettre d'atteindre bientôt des performances proches de celles de la technologie Flash (en plus léger). Soulignons enfin  que les dernières communications officielles de Microsoft annoncent un navigateur en trois noyaux, les deux premiers permettant une rétrocompatibilité, le troisième devant respecter la dynamique actuelle du Web et éventuellement le W3C.



Options technologies et innovation sociale

Cependant au delà de la dimension purement technique des choix technologiques, le projet Attlas a d’emblée été situé dans la perspective de l’amplification des potentialités innovatrices du Web qui sous-tendent les évolutions technologiques actuelles, amplification visée  en réalité par des acteurs comme Mozilla, notamment en matière d’hypertextes, de multimédia etc., c’est-à-dire dans toutes des formes du Web qui recourent à la fois à des formes graphiques animées, à des textes,  à des sons, et à des architectures textuelles non linéaires.

Reposant au départ sur la performance toujours croissante des ordinateurs et des flux de réseaux, le parti pris du développement des interfaces graphiques a conduit les concepteurs à doter les navigateurs d’une très grande capacité de calcul.

De manière corollaire, cette nouvelle puissance de calcul a fourni des nouvelles potentialités de traitement de grandes quantités de données, en temps court et à faible coût.

Cette convergence entre la priorité graphique des technologies et la capacité de calcul induite ouvrait dès lors la possibilité de nouvelles applications ou interfaces dynamiques qui innovent en matière de langage symbolique, de sémiologie, en matière de scénarisation ; ouvrant, dans le même mouvement,  la voie à la recherche de nouvelles formes de mise en scène des connaissances et des savoirs.

A travers ces nouvelles formes de mises en scènes des connaissances et des savoirs, ce sont avant tout les enjeux d’accessibilité, de diffusion, de transfert et de partage qui sont en question.


Attlas et la recherche de nouvelles formes de mise en scène des connaissances et des savoirs.

Attlas se situe précisément à la croisée de ces enjeux, tant sur le plan des finalités (partage, transfert, accessibilité) que par son objet concret : le rapprochement et contextualisation de données sur le travail, l’âge et l’emploi.

En effet, il s’agissait de penser à la fois :
Ces axes de recherche et développement ont ainsi conduit à définir deux grands chantiers :

 1 - Formaliser des méthodologies de rapprochement de données hétérogènes au plan statistiques (sources différentes, échantillonnages différents …), et les conditions et limites d’usage de ces méthodologies. 
(Cf. § Utilités et principes sur lesquels repose le rapprochement cartographique de données dans le projet Attlas et qui ont orienté l’évolution du noyau GaïaMundi).
Cependant, au delà des outils techniques et des procédés de rapprochement de données, et au delà de leurs fondements théoriques, la méthodologie et la technologie sont ici étroitement liées.

En effet, les propriétés dynamiques et interactives des outils devaient soutenir des procédés et des processus d’appropriation des données rapprochées reposant autant que possible sur des approches intuitives et sur des pratiques de raisonnement inductif et hypothético-inductif plutôt qu’hypothético-déductif. Ceci :
Les modes inductifs et intuitifs semblaient être en tout état de cause les plus en phase avec l’objectif d’introduire des démarches réflexives partagées dans le processus même de l’action concertée de réseaux d’acteurs hétérogènes  intervenant dans des contextes singuliers bien qu’en même temps sujets à comparaison. Par intuitif on entend ici les routines sociocognitives non individuelles et utilisées au sens éthnométhodologique du terme ; susceptibles d’être explicitées et débattues par les acteurs (accountability).

Ce point de vue a conduit à privilégier des choix en matière de :
Ces choix sont expliqués au § Géographie de la co-présence, sémiologie, et modalités de mise en scène.


2 - Formaliser des méthodologies d’accessibilité, de diffusion et de transfert des savoirs adaptées aux objectifs du projet.


Ici encore la méthodologie et la technologie sont étroitement liées.  Il s’agissait en effet que les outils permettent non seulement des formes de travail collectif en groupe, mais permettent aussi des formes collaboratives en réseau à distance. Ceci :
............

A la jonction de ces deux axes de Recherche et Développement, compte tenu de leur intrication,  et à l’appui  des potentialités que permettent les technologies du Web actuel (réseau, hypertexte …), le projet technologique d’Attlas repose ainsi sur une conception extensive de la notion d’hypertexte. Cette conception est articulée autour de trois idées :

1. L’hypertexte comme dispositif d’articulation entre sites et  lieux :

2. L’hypertexte comme un espace collaboratif multidimensionnel visant à  :
- d’une part, réflexivité et production de savoirs,
- et d’autre part, opérationnalité dans l’action.
On part ici de l’idée que le passage de la problématisation à l’opérationnalité dans l’action gagne en pertinence et en acuité s’il s’opère par des médiations de sens et d’expérience exogènes au contexte qui détermine la posture des acteurs,  et/ou s’il s’opère en temps différé. C’est à dire des médiations qui permettent de se voir en train d’agir et de penser l’action.

La finalité d’une approche extensive de l’hypertexte est ainsi de diversifier ces médiations (autres situations, autres approches, autres interprétations, nouvelles ressources…) et par là d’augmenter la capacité des acteurs à agir sur leur environnement non seulement sans subordonner systématiquement leurs démarches réflexives aux contraintes des dispositifs opérationnels préexistants (laisser place à une logique d’innovation) mais plus généralement sans les subordonner systématiquement à la rationalité de l’action.


3. L’hypertexte comme dispositif de traduction
La multiplicité et l’hétérogénéité des acteurs, des rationalités, des finalités, des codes impliquent des interprétations différentes et des soubresauts dans la dynamique de décision.

Les processus de traduction apparaissent comme incontournables et opératoires dès lors que :
.............

Ainsi dans l’approche qui sous-tend le projet Attlas, l’hypertexte est compris comme un dispositif dynamique qui articule à la fois des lieux et des sites, des espaces et des moments, des pratiques collectives et des formes de coopération en réseau, des savoirs révélés dans l’action et des savoirs construits ...

Dans cette conception, les objets technologiques sont des opérateurs de traductions (des actants au sens de Callon et Latour et même, pour partie, au sens de Berthelot dans le cadre de son schème sociologique actanciel), des « objets frontière » (Star et Griesman et la double dynamique de constitution de l’objet apréhendable par tous et du processus de production de l’objet) au sens où ils suscitent des décalages de posture pour des acteurs qui peuvent se retrouver sur les lieux communs de sens.

Les échanges initiaux au sein du projet de recherche et développement parlaient par exemple : « d’épaissir la frontière entre les catégories de sens courant mobilisées par les acteurs, l’épaisseur du trait de la frontière devenant précisément le lieu commun où les acteurs se retrouvent et regardent ensemble les mondes auxquels ils appartiennent ».

La technologie, pour cela, doit permettre l’intrication du virtuel (c’est-à-dire, en réalité, de l’inscription matérielle symbolique des signifiants) et des pratiques réelles (c’est- à-dire ce que l’on ne peut changer par simple souhait de considération). De manière concrète, les outils doivent pouvoir s’insérer dans les pratiques d’acteurs et ces pratiques doivent pouvoir diffuser dans des réseaux (dont le Web).

Notons que cette conception extensive de l’hypertexte, et en particulier les notions d’objet frontière et d’interpénétration des modes virtuels et des pratiques réelles, est l’une des constantes qui sous-tend la conception de la plupart des outils développés dans le cadre du programme ATEON de l’Anact : Attlas, Iliade, enquête 10 000, outils démographique.


Géographie de la co-présence,

sémiologie,
modalités de mise en scène.

La méthodologie de rapprochement de données
mise en œuvre dans Attlas repose sur quatre énoncés :
En jouant des propriétés dynamiques de la mise en scène cartographique des données, on place le groupe de participants à un atelier en situation de construire ensemble une lecture des agencements significatifs entre phénomènes ou facteurs représentés par les données.  

La démarche proposée est délibérément inductive et constructiviste.

Cette démarche repose sur la stabilité de la carte comme lieu commun de sens.

La carte comme tableau (hyper tableau)

Le tableau comme lieu d'une activité de classification du réel
En réalité, la carte est un objet de la même espèce qu’un tableau. On se réfère ici aux travaux de l’anthropologue Jack Goody, qui a montré que le tableau apparaît dans l’histoire de l’écriture à la suite des listes descriptives, comme une première entreprise de classification systématique du réel. Après avoir pratiqué des classements par listes en regroupant les noms d’objets par catégories, le tableau est apparu comme schème de classification supérieur en mettant en scène des relations entre des catégories. Ce faisant, les premiers praticiens de l’écriture découvraient un processus de représentation du réel, par conséquent détaché du réel lui-même, qui allait marquer durablement nos manières de penser.

Une illustration du type de détachement du réel attaché à la forme tableau est donnée par le fait que dans cette pratique de classification, qui peut être cohérente en elle-même, il peut arriver que les croisements logiquement opérables dans le tableau ne correspondent à aucune occurrence observable dans la réalité.

Par exemple, si l’on a en colonne les classes d'objets contenants et en ligne des classes d’objets contenus telles qu’elles se donnent à voir dans la nature alentours, la relation vache-incluse-dans-pré trouve une occurrence observable mais sa réciproque non. De la même manière, les relations entre contenants et contenus propores à un schème de classification systématique peuvent ne pas avoir de sens pratique. Ainsi, alors qu’on trouve bien des oiseaux-dans-les-arbres, en revanche il est peu probable d’observer même une seule fois  un éléphant-dans-un-arbre.   

La cohérence d’un tableau et son intelligibilité réside dans le schème qui détermine la nature des relations qu’il met en scène. Mais cette logique d’abstraction présente un caractère transcendantal qui peut être en contradiction avec une raison pratique et, pour en faire un usage concret, il convient d’éprouver le schème dans le champ concret de l’expérience.

Pour expliciter cette conception du schème et la distinction schème concept, on peut emprunter à Deleuze dans son cours sur Kant du 4 avril 1978 cette définition : " Le schème de l'araignée c'est sa toile, et sa toile c'est la manière dont elle occupe l'espace et le temps", ce que,
pour paraphraser l’auteur, le concept d’araignée ne suffit pas à décrire. 

La vertu de la carte comme tableau
La vertu de la carte comme tableau est qu’elle fournit d’emblée un schème commun, mais celui-ci n’est pas explicite et le travail de rapprochement de données a précisément pour objet de conduire le groupe de participants à élaborer une appréhension collective de ce schème.  

De ce point de vue, les savoirs mobilisables par les participants au groupe sont en principe égaux devant l’exercice. Il ne s’agit pas en effet de proposer des explications, ni de dégager des lois de causalité (ou des corrélations), mais de dégager des significations partagées des relations de co-présence de phénomènes décrits par le rapprochement de données, en s’attachant précisément à comprendre les conditions, les circonstances et les implications de la relation de co-présence.

L’effort d’analyse est porté sur l’effectivité de la représentation du réel par « l’hyper tableau » qu’est la carte. L’effectivité de la représentation du réel est ici accessible par l’analyse des relations : relation entre facteurs et territoires, relations entre facteurs sur la trame des territoires.  Le procédé d’appréhension mobilisé est alors celui de la contextualisation, en mobilisant pour cela différents types de savoirs : expérientiels, institutionnels, scientifiques … et en procédant par comparaison avec les territoires environnants.
La rigueur et sa fécondité heuristique de ce type d'approche comparatiste tient au fait qu'elle ne nécessite pas l’établissement d’une norme de référence aux fondements souvent difficiles à étayer et rétive aux opérations de falsification. Quant au plan de la pratique, en situation de travail collectif,  l'analyse comparative présente l'avantage de la souplesse et contribue au dépassement des blocages qui peuvent se manifester dans un groupe.
Ainsi, par exemple, si décrire le visage de quelqu’un est toujours une opération complexe, en ravanche, dresser un portrait en s’aidant des ressemblances et différences avec d’autres visages est plus acc
essible. On peut s’accorder sur les grands traits du portrait et conserver des points de vue différents sur des éléments plus fins.

Un tel processus d’analyse nécessite de s’affranchir dans un premier temps des significations pré construites : représentations sociales attachées à des grandeurs symboliques (comme le taux de chômage par exemple), représentations sociales attachées aux positions sociales et aux interactions afférentes dans le groupe …),
De même qu’il est nécessaire de réincarner, par des contenus sociaux,  les grandeurs abstraites représentées par les nombres,  pour tenter de comprendre comment les relations se distribuent sur la carte, c’est-à-dire pour accéder à la dimension sociale du schème et discuter l’effectivité de sa représentation du réel.

En réalité il s’agit là d’un processus de cognition complexe en ce sens qu’il s’opère dans un constant aller retour entre l’abstraction schématique et le plan de l’expérience. Tout l’enjeu social et pédagogique de la conception de la démarche a consisté à tenter des réduire les effets inhibiteurs de cette complexité sans perdre en contenu, ni en accessibilité, ni non plus en rigueur méthodologique.

Aspects sémiologiques
Outre la méthodologie et les procédés d’animation de tels groupes de travail, c’est avant tout dans le recours à une sémiologie adaptée que réside la possibilité de succès de ce type de processus.

On se réfère pour cela à Jacques Bertin, sociologue et géographe français, pour qui toute relation entre quantités est représentable par des formes graphiques explicites, et en particulier à son œuvre théorique (notamment son ouvrage la « Graphie ») qui formalise une théorie  de la représentation graphique des quantifiés statistiques et des relations entre facteurs, en particulier dans la cartographie statistique (il a aussi largement travaillé sur d’autres systèmes de représentation plane comme l’analyse en réseau etc.). Dans la même lignée, on se réfère aussi à Cibois
(d’ailleurs lui-même héritier fécond de Bertin), lui aussi sociologue, et à son importante contribution théorique et pratique à l’analyse de données.
Tout deux, nous conduisent à :
(Repérer, par exemple, que la situation d’un bassin d’emploi au regard du travail et de la santé s’inscrit dans une aire géographique de plus grande échelle, au delà des découpages régionaux ou administratifs, et où les situations peuvent présenter de réelles similitudes, qu’il s’agit alors de décrypter pour caractériser la situation du bassin d’emploi particulier auquel on s’intéresse). Cet aspect à conduit à privilégier des découpages territoriaux (maille) éloignés des territoires administratifs  : la zone d'emploi, et dans le cas urbain l'Iris, qui sont des mailles d'étude conçues par l'Insee.
Ainsi, par exemple, en matière de colorisation des fonds de carte, on peut soit chercher des représentations hiérarchiques (palette de couleur du sombre au clair) qui tendent à opposer les extrêmes et à marquer les polarisations et les gradients, soit privilégier  des représentations plutôt associatives (palettes de couleurs hétéroclites qui ont la propriété de présenter les classes sans ordre hiérarchique et par conséquent de privilégier les perceptions associatives des éléments d’une même classes …). De la même manière, pour les graphiques ponctuels projetés sur les cartes (les cercles induisent une perception associative tandis que les barres ou les triangles induisent une perception discrète …).
Si, par exemple, on observe sur une carte deux modalités de co-présence typiques dans la géographie :
- Forts effectifs de salariés dans une branche professionnelle donnée et faible fréquence d’accidents du travail,
- Faibles effectifs salariés dans cette même branche et fréquence élevée d’accidents du travail.
Plutôt que de postuler un loi générale (ici on serait tenté de conclure que la fréquence d’accidents est inversement proportionnelle à la densité d’effectifs salariés dans les territoires), et de lui chercher une explication de type causale ou corrélative, on s’intéressera plutôt à repérer les situations atypiques et à les contextualiser (voir l’exemple en ligne sur la région Bourgogne).
On privilégie ainsi l’étude des marges (en particulier leur connexité géographique) pour caractériser les distributions par leur conditions de co-présence. Le choix d'une approche par les marges n’exclue cependant pas l’hypothèse d’une loi générale qui devrait tenir compte des contextes. Ce choix ne prive pas non plus les acteurs d'un accès aux conditions de validité d’une telle loi puisque, si elle se confirmait, elle se déclinerait dans des conditions situées qui sont elles-mêmes déjà rendues accessibles par l’approche contextualisée des relations et des marges.

Représenter graphiquement les rapports de quantité dans des formes graphiques qui facilitent l’appréhension des relations en permettant une approche qualitative des rapports de quantités.
Médiane et quantiles
Pour soutenir cette logique d’analyse, et rester en cohérence avec elle, en particulier pour susciter un raisonnement sur les relations avant de revenir au grandeurs proprement dites (valeurs et quantités représentées par les nombres), comme on l'a évoqué plus haut, ce sont des classifications automatiques par classes d’effectifs égaux qui ont été choisies (en particulier la partition par la médiane et plus généralement par les quantiles).

Interactivité et dynamisme des formes graphiques
Les outils de mise en scène cartographique ont été développés pour maximiser ce type de raisonnement.
En particulier, outre la sémiologie, ont été introduites des fonctionnalités interactives aussi souples que possibles pour "faire bouger la carte", permettant ainsi aux participants de voir comment les  phénomènes et leurs relations se déploient dans la géographie (variation des bornes des classes, passage d’une représentation hiérarchique à une représentation non hiérarchique, traçabilité des groupes de territoires marqués par une relation pour étudier la stabilité ou non de ces groupes au regard d’autres phénomènes, permutabilité rapide des données …). Autant de fonctionnalités qu'il n’aurait pas été possible de mettre en œuvre de manière souple dans le contexte technologique d’il y a seulement deux années en arrière.